L’évolution du monde professionnel au cours des dernières décennies a été fulgurante. Guidée par l’industrialisation puis par l’automatisation croissante, notre réalité de travail a basculé, transformant environ 75% des emplois en emplois de bureau. Si l’automatisation promettait une réduction drastique du temps de travail (certaines estimations suggérant que 15 heures par semaine suffiraient à répondre aux besoins de la population), la réalité est tout autre.
Le piège du bureau et la tempête numérique
Le passage massif aux emplois de bureau a introduit son lot de défis singuliers, bien loin de la simplicité promise par la technologie. Ces environnements sont souvent marqués par :
- La difficulté de concentration : les bureaux ouverts, les interruptions constantes et les réunions fréquentes fragmentent notre attention.
- La surcharge d’informations : les Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (NTIC) sont, paradoxalement, une source de complexité. Les notifications incessantes, les e-mails et les appels créent une déconcentration permanente.
- Les défis de santé : la sédentarité imposée par la posture devant l’écran et les tensions oculaires s’ajoutent aux risques.
De l’employé à la « machine à améliorer »
Cette transformation s’est accompagnée d’une modification profonde de la perception de l’employeur envers l’employé. Dans une optique d’optimisation et d’efficacité, l’individu est de plus en plus considéré comme une « machine à améliorer », une machine à performer et une simple ressource productive.
Cette vision, parfois au détriment du bien-être humain, est illustrée par des pratiques de traçage et d’évaluation de l’efficacité au travail. Lorsque l’humain est vu comme un composant à optimiser, on oublie sa nature profonde.
Le mythe du sprint constant
De nombreux témoignages résonnent aujourd’hui autour d’un poids psychologique considérable. Le monde professionnel semble nous imposer une cadence intense et soutenue, que l’on pourrait comparer à un sprint constant.
Pourtant, la nature humaine est bien mieux adaptée à un effort durable, à la manière d’un marathon. Cette imposition d’une performance de pointe continue va à l’encontre de notre capacité biologique et émotionnelle à maintenir une intensité aussi élevée sur le long terme.
L’automatisation et la souffrance au travail
C’est dans ce contexte que l’on peut comprendre le lien entre l’automatisation des tâches et le phénomène d’épuisement professionnel (burn-out).
Comme le philosophe Paul Ricœur l’a souligné, la souffrance ne se limite pas à la douleur physique ou mentale, mais est souvent définie par « la diminution voire la destruction de la capacité d’agir, du pouvoir faire, ressenties comme une atteinte à l’intégrité de soi. »
Dans les environnements hyper-automatisés et sur-gérés, l’employé se retrouve souvent réduit à un rôle d’exécution pure, le manager donnant des ordres avec une marge de manœuvre limitée. Cette perte de contrôle et de capacité d’initiative, combinée à la pression du « sprint », attaque directement l’intégrité de l’individu et ouvre la voie au burn-out.
Il est temps de repenser l’organisation du travail pour que l’automatisation serve réellement l’humain, lui redonnant le contrôle et la capacité d’agir, plutôt que de l’asservir à une machine de productivité incessante.




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